Taliouine, terre de rencontres, situé sur la route entre Ouarzazate et Agadir a 100 km de la ville de Taroudant.
Voyage en terres de safran Une ingrate culture de luxe · 5 fois plus cher au Maroc, 30 fois plus cher en Europe!
· Un système de production trop traditionnel
· Les intermédiaires faussent le jeu
AU Maroc, au cœur des plus hauts sommets d’Afrique du Nord, c’est dans le village de Taliouine, province de Taroudant, qu’on cultive le Crocus Stavivus, plus connu sous le nom de safran. Du même genre que celui cultivé en Espagne, le rendement est trois fois moindre. Mais en termes de qualité, le safran du Maroc se place en pole position sur le marché mondial, devant celui d’Iran. Son commerce rapporte chaque année quelques millions de dollars aux intermédiaires, et seulement quelques milliers de DH aux producteurs.
Ce filament d’or rouge (sa couleur originelle), aussi appelé «or jaune» (la teinte qu’il donne), s’impose en effet comme l’épice la plus chère du monde, mais aussi la plus ingrate en termes de rendement. Il faut environ 150.000 fleurs pour produire un kilo de safran. Et seulement 5 minutes de négociations à l’intermédiaire pour réaliser des profits monstres, dans la plus complète des opacités. Enquête sur un marché méconnu, où confusion et mauvaise organisation anesthésient les chances de développement de toute une ruralité.
6 heures du matin, sur les chemins et les sentiers des montagnes de Sirwa, impossible de ne pas remarquer ces silhouettes pâles, emmitouflées dans des djellabas de laine taliouine, bravant le froid transperçant sur plusieurs kilomètres pour aller récolter le safran. Les petites fleurs bleues, les crocus, ont éclos dans la nuit, et elles doivent impérativement être ramassées avant que le soleil ne soit assez haut pour les abîmer et détruire les vitamines de cet or jaune.
Rare comme le luxe qu’elle représente, cette épice à l’odeur, la saveur et la couleur particulière, extrêmement appréciée aux quatre coins du monde, ne se récolte que l’espace d’un mois, entre octobre et novembre. C’est donc entre 5 et 8 heures du matin que les 200 douars de la commune s’attellent à cette culture spécifique à la région.
«Nous n’avons toujours pas mécanisé le système de récolte, et nous nous débrouillons comme nos ancêtres pour la gestion de l’eau. Seuls quelques agriculteurs financés par des investisseurs étrangers ont installé la culture du goutte-à-goutte, qui coûte aux environs de 20.000 DH par hectare cultivé», explique Abdellah Aguende, un vieil agriculteur au front plissé par les rides de l’Atlas.
Après la récolte, on conserve le safran dans de petites boîtes en fer-blanc, à l’abri de la lumière et des regards. Dans ce petite douar berbère reculé, on continue de cultiver l’or jaune avec les mêmes outils et méthodes qu’il y a 10 siècles. Ce descendant du vieux Louis d’or, que l’on cache encore sous les matelas, n’est écoulé que quand les besoins se font sentir.
Et malheureusement, ils ne manquent pas dans ces bourgades isolées du Haut-Atlas. A peine la récolte achevée, les agriculteurs, peu conscients de cette richesse violine qu’ils monnaient depuis le berceau, s’en vont au souk de Taliouine et n’ont d’autre choix que de brader leur marchandise.
«Nous avons besoin d’argent, la vie est très dure ici.
On n’a ni les moyens, ni le temps d’attendre», explique Hussein Lafdouk, adjoint au secrétaire général de la Coopérative de Taliouine. Jusqu’à il y a deux ans, le gramme de safran au marché de Talouine se négociait autour des 7- 8 DH. Aujourd’hui, son prix oscille entre 12 et 13DH pour les locaux, mais aussi pour les intermédiaires. Et c’est bien la tare principale des agriculteurs de ce petit village, chacun travaillant et négociant pour son petit commerce personnel.
Laissant par là même le champ libre aux ententes illégales entre pseudo-négociateurs, qui arpentent tels des vautours les ruelles de ce village en ce mois de récolte. «C’est toujours les mêmes qui profitent de notre crédulité et de notre manque d’organisation. On les connaît bien, ils sont du village et font beaucoup d’allers-retours dans le pays. Ils se mettent d’accord entre eux pour ne jamais acheter au-dessus d’un certain prix.
Quand le premier vend, tout le monde suit de peur de ne pas trouver acheteur», explique Lhoucein Albaze, un autre agriculteur de la commune.
En effet, pas difficile de constater la pauvreté dans laquelle évoluent ces paysans. Les brins de safran sont achetés 12 dirhams le gramme, et souvent moins lorsque l’intermédiaire leur propose de les débarrasser de tout le stock. Ce dernier le revend ensuite entre 30 et 60 DH le gramme dans les villes du Royaume. Une plus-value importante sur laquelle les intermédiaires ne payeront aucune taxe ni impôt, étant donné que ce commerce se fait dans la plus totale opacité. «Il n’y pas de retombées d’argent au niveau local. Notre village ne récupère rien de tous ces bénéfices, c’est comme si on travaillait gratuit pour eux», explique ce jeune gérant d’un cyber-café du centre-ville. «De toute façon, se sont les étrangers qui se font de l’argent, nous on leur sert juste à cueillir», ajoute-t-il aigri.
En effet, impossible d’ignorer ces allers-retours de négociants du monde entier dans les sentiers de la région. Ils rôdent à l’affût de producteur prêt à céder la totalité de sa marchandise à bas prix. En Europe, ils revendent le gramme entre 10 et 30 euros (112 à 340 DH) le gramme, c’est-à-dire 10 à 30 fois plus cher que dans le douar. Un manque à gagner qui pèse sur le développement rural de la région.
"Tout ceci se fait uniquement à la main. D’abord marcher courbé vers les sols pour distinguer les petites fleurs, et les enlever d’un geste précis de trois doigts, sans abîmer les stigmates. Il faut 140 fleurs, donc 420 stigmates pour obtenir un gramme de safran sec. Ensuite, durant toute la journée, dans la pénombre d’une maison, les paysans et leur famille séparent les précieux stigmates de la fleur, avant de les faire sécher pendant plusieurs semaines".
"Avec ses 12.000 âmes, le village de Taliouine est à l’origine de la quasi-totalité de la production de safran du pays, soit environ 2 tonnes par an. Cette concentration de l’offre devrait pourtant jouer en la faveur des producteurs. La concurrence à l’intérieur du Royaume comme à l’extérieur étant minime. Mais le manque de structuration et l’incroyable résistance de ces irréductibles Berbères à l’apprentissage du commerce moderne empêchent ces derniers de rééquilibrer le jeu"
Najlae NAAOUMI
http://www.leconomiste.com/
Posté par Si Moh
Source: http://naima-imzilnes-dades.easyfreeforum.com/viewtopic.php?t=193079&eff=15504