tamzilte Admin
Messages : 1650 Date d'inscription : 04/01/2008
| Sujet: Je t'aime, je te hais Sam 23 Fév - 4:00 | |
| Cite-moi tes proverbes, je te dirai qui tu es. Que fut la société marocaine à travers sa longue et tortueuse histoire, Quelles sont ses représentations d'ordre culturel ? Quels sont ses peurs, ses fantasmes ? Les démons qui peuplent son imaginaire collectif ? Rien de mieux que les proverbes, de tout temps le creuset de la sagesse populaire, pour nous renseigner sur le sujet.
C'est ce à quoi s'est attelée la jeune journaliste Mounia Belafia, dans son tout nouveau livre édité en langue arabe chez Toubkal, sous le titre «Al Mar'atou fi al amthali al maghribiati» (La Femme dans les proverbes marocains).
Vous l'avez compris, la préoccupation de Mounia Belafia est bien précise : Il s'agissait pour elle de mettre en exergue les représentations de la femme dans l'imaginaire collectif marocain à travers ses productions proverbiales durant des siècles.
Pour l'auteur, le proverbe est tel un concept, il résume «des représentations qui se réfèrent à un système de pensée et à une culture donnés». C'est le cas des proverbes qui prennent la femme pour objet. «C'est cette dimension qu'a le proverbe -écrit l'auteur- qui nous incite à essayer de comprendre la portée de l'utilisation des concepts et des expressions aussi bien dans la langue arabe classique que dans le langage courant qui se réfèrent à la femme.
Et ce à travers l'analyse de l'emploi de ces expressions dans les proverbes, aussi bien que de la portée de cet emploi en tant que reflet d'une représentation de la femme». Pour ce faire Mounia Belafia, on l'imagine bien, a dû plonger profondément dans l'immensité océanique de la littérature réservée à l'étude des proverbes depuis des siècles, particulièrement dans la tradition arabo-islamique, et marocaine plus particulièrement. D'abord pour compiler les adages qui ont rapport avec la femme, à l'exclusion de tous les autres, puis pour développer sa propre réflexion sur la base de ce qui a été écrit sur ce sujet précis. Et là, on doit reconnaître à Mounia Bel Afia sa qualité de pionnière en la matière. Il y a certes, l'étude dirigée par Aïcha Belarbi sous le titre : « L'image de la fille à travers les proverbes populaires » et parue en 1990, mais le reste des travaux est consacré aux proverbes dans leur généralité.
On peut donc lui être gré d'avoir apporté sa contribution à un moment où le débat sur la valorisation du statut de la femme, et la lutte qu'il y a derrière pour changer la trivialité des représentations dans l'imaginaire collectif à son égard, a besoin d'une assise philosophique et scientifique de la taille du travail de Mounia Belafia. «La première chose qui frappe l'observateur des proverbes marocains qui font référence à la femme, écrit l'auteur dès l'ouverture, c'est sa conformité à l'image que présente le mythe de l'être qui se défait au fil de l'âge des anges qui l'habitent au profit des démons». Selon cette croyance le garçon à sa naissance est accompagné par cent démons qu'il troque, à mesure qu'il prend de l'âge, contre cent anges. Tout le contraire de la fille qui vient au monde au milieu des anges et qui vieillit entourée de démons.
C'est cette image négative qui fonde et structure l'imaginaire populaire au sujet de la femme. Ne l'accuse-t-on pas, contrairement au Coran lui-même qui rapporte le fait, d'avoir provoqué l'expulsion d'Adam du paradis ? D'où un grand nombre de proverbes qui s'en prennent à la femme l'accusant des malheurs du monde : «Koul Blya, sbabha oulia» (derrière tout malheur se cache une femme).
La méfiance envers la femme est donc de mise : «Lamra lafâa ou m'hazzma bi Iblis» (la femme est une vipère ceinturée du démon). La vipère n'est pas le seul animal auquel la femme est comparée dans les proverbes. Symbole de perfidie et de traîtrise, elle n'en est pas moins idiote, vile, stupide comme une ânesse, une jument et bien sûr une vache : «Lahlib man draâ, ou lamra man l'kraâ» (la qualité du lait se mesure à la taille des mamelles de la vache, la qualité de la femme à celle de ses jambes) ; «Lamra ka-tarbat man foum-ha, ou labhima ka-tarbat man l'jam-ha» (on ligote la femme de sa langue comme on ligote l'âne de sa bride). Objet de méfiance, voire de mépris la femme est également objet de désir souvent passionnel et conflictuel. La poésie arabe, le jazal dans la littérature populaire marocaine, sont riches de ces situations de conflit et de déchirement entre attirance et méfiance envers la femme.
Mounia Belafia nous gratifie à ce propos d'un chapelet d'adages qui démontrent l'ampleur de ce conflit. D'un côté on exalte la beauté de la femme en la comparant à la lumière :(Zine lamra f'dyaha, zine l'aâtaq fi hyaha : La beauté de la femme est dans sa luminosité, la beauté de la jeune fille est dans sa pudeur), on la chérit plus que sa propre mère (li naâmal-ha tahti, hsan li man mey ou khti ; la femme avec laquelle je couche m'est préférable à ma mère et à ma sœur). N'empêche, on doit se méfier de l'être aimé.
Pour les mêmes raisons qui nous incitent à l'aimer : «m'habat nsa koulou aâdab » (l'amour des femmes n'est que tourmente). D'où sans doute le glissement vers la radicalité du mépris et de la méfiance. Les quatrains de Abderrahmane Majdoub auxquels le livre consacre quelques pages, ont pour ainsi dire, une portée proverbiale à ce propos : (Bhout n'sa bhout ou man bhout-houm beît hareb, yat-hazzmou b'la-hnoucha ou yat-khal'lou bi laâqareb -les simagrées des femmes sont immenses à tel point que je me sauve, elles se ceinturent de vipères et portent des scorpions en guise d'anneaux).
Conservatisme sclérosé Tout au long du livre et au fil des proverbes patiemment rapportés et analysés par l'auteur, se profile l'image de la femme telle qu'elle s'était forgée dans une société conservatrice qui se suffit de ses traditions et de son mode de vie archaïque où la femme occupe peu de place. L'une des conclusions que tire Mounia Belafia à travers cette grille de lecture, est que l'image triviale de la femme dans la tradition marocaine, est le produit des rapports de force dans la société et d'une certaine lecture des préceptes religieux fortement inspirés par ce contexte de domination et de conservatisme sclérosé. Par Abdelaziz Mouride | LE MATIN | |
|